Résultats de l’enquête DOLCIA

Malgré une évolution croissante du choix de l’allaitement maternel durant ces 20 dernières années, en France, l’objectif de se rapprocher des préconisations des sociétés savantes ou de l’OMS n’est pas atteint en raison d’une durée d’allaitement exclusif insuffisante.
Il est essentiel de connaître les facteurs qui déterminent le sevrage de cette alimentation au sein, et en particulier ceux liés aux conditions socio-familiales ou associés à l’environnement de la mère. Ces informations pourraient permettre d’optimiser l’information donnée aux mamans et d’adopter des mesures incitatrices à la poursuite de l’allaitement, qu’elles soient d’ordre sanitaire ou socio-économique. Dans une démarche de prévention et de santé publique, il est paradoxal, puisqu’il s’agit d’une décision très personnelle, que le choix d’interrompre l’allaitement au sein soit souvent motivé uniquement par la reprise du travail. Cette enquête de grande envergure, réalisée en population et à grande échelle, apporte des éléments de réponse concrets et informatifs pour les praticiens comme pour nos tutelles sanitaires.

Le constat

Selon la Haute Autorité de Santé (1) comme pour l’American Pediatric Association (2) ou l’OMS (3), l’allaitement maternel constitue la référence pour l’alimentation du nourrisson pendant les 6 premiers mois de la vie car il favorise la croissance physique et affective de l’enfant, privilégie le lien mère-enfant et renforce l’immunité de l’enfant (1).

En France, en 2010, le taux d’initiation en maternité était de 68,7 % (60,2 % d’allaitement exclusif et 8,5 % d’allaitement mixte) (4). En 2012, l’étude Epifane fait état d’un taux d’allaitement identique de 69 % (60 % d’allaitement exclusif, 9 % d’allaitement mixte) (5). A 1 mois, 54 % des enfants sont encore allaités et seulement 35 % de manière exclusive (5). A 4 mois, 5 % des enfants sont encore allaités, un taux beaucoup plus bas que dans d’autres pays développés (65 % en Suède et en Suisse, 34 % au Canada, 27 % au Royaume-Uni). Les femmes allaiteraient en médiane 8 à 13 semaines (6-8) et plus récemment, il a été rapporté que la durée de l’allaitement maternel ne dépassait pas 10 semaines en France (9).

Les résultats de cette étude épidémiologique, mise en place par NOVALAC en 2012, contribuent à améliorer les connaissances dans ce domaine en donnant une estimation de la durée de l’allaitement maternel exclusif aux niveaux national et régional (hors Corse et Dom-Tom), et en identifiant différents déterminants cliniques, sociologiques et économiques influençant le maintien de l’allaitement maternel.

Une enquête conduite auprès des médecins et des mamans
Cette enquête observationnelle transversale a été conduite dans la pratique quotidienne de pédiatres et de médecins généralistes à orientation pédiatrique.
Chaque médecin devait inclure les 5 premières mamans, âgées de plus de 18 ans, souhaitant ou devant arrêter l’allaitement maternel exclusif de leur enfant et acceptant de participer à cette enquête. L’enquête comportait un questionnaire complété par le médecin et un auto-questionnaire complété par la maman.

  • Description des couples mères/enfants

745 médecins, dont 651 pédiatres et 78 médecins généralistes, ont inclus dans l’étude 2 773 couples mères enfants.
Les mamans de l’étude sont âgées de 30,6 ± 4,5 ans (médiane 30 ans) et les enfants de 13,2 ± 11,0 semaines.

Les enfants sont majoritairement de sexe masculin (52,4 %). Leur poids moyen à la naissance est de 3,3 ± 0,5 kg et leur taille moyenne à la naissance de 59,0 ± 5,7 cm.

Les mamans vivent en couple pour 96,9 % d’entre elles. Pour la moitié (49,9 %), il s’agissait de leur premier enfant.

Sur le plan socioéconomique, 82,1 % ont un niveau d’étude égal ou supérieur au baccalauréat et les professions qu’elles exercent diffèrent de la population générale par une sous-représentation des ouvrières (2,3 %) et une sur-représentation des professions libérales ou des cadres supérieurs (21,7 %). 13,6 % déclarent cependant avoir des difficultés financières modérées ou importantes, et 54,3 % déclarent ne bénéficier d’aucune aide dans leur vie quotidienne.

Plus des deux tiers d’entre elles (68,2 %) sont en congé maternité ou parental et 17,4 % ont déjà repris leur activité au moment de l’enquête.

  • L’allaitement maternel : une décision prise avant la grossesse

Près des deux tiers des mamans (62,1 %) se déclarent satisfaites du déroulement de leur grossesse et 77,8 % ont suivi des cours de préparation à l’accouchement. Elles sont aussi très satisfaites, pour 49 % d’entre elles (moyennement 34,9 %), des informations et du soutien reçus concernant l’allaitement par les professionnels de santé (médecins, sages-femmes…). 62,2 % s’estiment avoir été bien informées (moyennement 25,9 %) des bénéfices
de l’allaitement au sein pour leur enfant.

La décision d’allaiter a été prise :
• avant la grossesse pour 68,8 % des femmes ;
• durant la grossesse pour 21,4 % ;
• et lors de l’accouchement ou à la maternité pour 2,6 % et 2,8 %
(figure 1).

Figure 1 – Moment de la prise de décision d’allaiter.

On note que la décision d’allaiter est d’autant plus souvent prise avant la grossesse que la femme avance en âge, passant de 50,2 % chez les moins de 25 ans à 76,2 % chez les 35 ans et plus. Une durée d’allaitement maternel exclusif de 11 semaines

La durée moyenne de l’allaitement maternel exclusif est de 11,3 ± 7,7 semaines (médiane 9,6 semaines).
La distribution de ces durées d’allaitement maternel exclusif fait apparaître que 35,4 % des mamans ont allaité leur enfant exclusivement au sein durant moins de 8 semaines, 64,6 % durant 8 semaines et plus, parmi lesquelles 41,0 % durant 12 semaines et plus et 22,9 % durant plus de 16 semaines (figure 2).

Figure 2 – Durée de l’allaitement exclusif (en mois).

Les durées varient de manière sensible entre les régions, avec la durée moyenne la plus importante en Bourgogne (13,8 semaines) et la plus
faible en Basse-Normandie (9,9 semaines) (figure 3).

Figure 3 – Cartographie de la durée moyenne de l’allaitement maternel exclusif en fonction des régions françaises (en semaines).

Les médecins avaient évalué au moment de leur recrutement, et donc avant l’inclusion des mamans, la durée moyenne de l’allaitement maternel exclusif à 12,5 ± 4,8 semaines avec des estimations variant de 11,0 ± 4,3 semaines dans le Nord à 13,5 ± 4,7 semaines dans le Sud-Est. Ils avaient estimé que seules 19,1 % des mères le prolongeaient au-delà de 4 mois.

  • La première motivation de l’allaitement maternel : la santé de l’enfant

Les motivations pour débuter l’allaitement maternel (figure 4) sont dominées par le souhait de contribuer à une bonne santé de l’enfant (95,4 %), par le renforcement de la relation mère/enfant (75,4 %), mais aussi pour son caractère pratique (37,6 %). On notera cependant que 8,9 % indiquent des raisons financières. Seulement un tiers des femmes (34,3 %) déclare ne pas avoir éprouvé de difficultés pour débuter l’allaitement. 59,9 % disent avoir allaité leur enfant dans un lieu public en ayant toutefois ressenti une gêne plus ou moins marquée pour 53,3 % d’entre elles.

Figure 4 – Motivations pour débuter l’allaitement maternel.

Mais, nonobstant tous les éléments précédents, 76,4 % des femmes déclarent avoir beaucoup apprécié le fait d’allaiter leur enfant. 44La reprise du travail : première
raison de l’arrêt de l’allaitement maternel exclusif Les raisons de l’arrêt de l’allaitement exclusif sont dominées par la reprise du travail et/ou la mise en crèche ou en nourrice de l’enfant (45,6 %), suivies
par la fatigue de la maman ou la survenue de problèmes de santé chez elle (24,6 %) (figure 5).

Figure 5 – Raisons d’arrêt de l’allaitement exclusif.

Le manque de soutien de l’entreprise dans laquelle les femmes travaillent est stigmatisé de manière importante avec 64,1 % d’entre elles qui jugent ce soutien « pas du tout satisfaisant ».

  • Durée de l’allaitement : influencée par la satisfaction d’allaiter et le contexte socioéconomique

Une régression logistique ajustée sur l’ensemble des caractéristiques socioéconomiques et cliniques de la mère et visant à expliquer une durée d’allaitement maternel exclusif supérieure
à 4 mois a été réalisée.

Elle fait apparaître que les principaux déterminants d’une durée d’allaitement de plus de 4 mois sont :
le fait que la maman apprécie d’allaiter (OR : 5,2 [2,2-12,2] ; p < 0,0001) ;
l’existence de difficultés financières (OR : 2,8 [1,2-6,3] ; p = 0,0142) ;
un âge supérieur à 35 ans (OR : 2,4 [1,5-4,0] ; p = 0,0006) ;
la capacité de la femme à allaiter son enfant dans un lieu public (OR : 2,2 [1,8-2,8] ; p < 0,0001) ;
l’absence d’activité professionnelle (OR : 2,0 [1,4-2,8] ; p < 0,0001) ;
l’absence de tabagisme (OR : 1,8 [1,2 -2,8] ; p = 0,0066).

Par ailleurs, chez les femmes ayant une activité professionnelle, la régression logistique montre également l’importance de la satisfaction de la maman à l’égard de la politique de l’entreprise en faveur du soutien à l’allaitement avec, lorsqu’elles en sont très satisfaites, un OR de 1,8 (1,1-2,8 ; p = 0,0136).

  • Deux tiers des mamans poursuivent un allaitement mixte

Au terme de la consultation 65,6 % des mamans optent pour un allaitement mixte et 34,4 % pour une formule infantile exclusivement. Ces choix varient de manière sensible entre les régions : la plus grande proportion à maintenir un allaitement mixte se trouve en Auvergne (76,8 %), et la plus faible dans le Nord-Pas-de-Calais (56,1 %).

Conclusion

Cette enquête observationnelle nationale fait apparaître une durée d’allaitement maternel exclusif de 11 semaines en moyenne, qui varie de manière importante selon les régions entre 10 et 14 semaines. Ce résultat confirme les données antérieures (5-6, 9) et montre que peu de progrès ont été obtenus dans ce domaine. Ces chiffres sont d’ailleurs en adéquation avec la reprise légale du travail à 10 semaines après l’accouchement.

Il est donc nécessaire de continuer les efforts d’information en faveur des bénéfices pour l’enfant de l’allaitement maternel, mais également d’accroître les mesures incitatives en faveur de l’allaitement maternel. En effet, si l’analyse montre que le premier déterminant de la durée de l’allaitement maternel est la satisfaction éprouvée par la maman à allaiter son enfant, elle souligne l’importance des déterminants socioéconomiques et des politiques de soutien des entreprises aux femmes allaitant leur enfant.

Les mamans, quant à elles, semblent déjà très investies, puisque les deux tiers d’entre elles acceptent de passer à un allaitement mixte plutôt qu’à une formule infantile seule.

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