Stade de refus du nourrisson et alimentation

Quand les parents d’adolescents évoquent avec nostalgie les temps lointains de la prime enfance de leur rebelle progéniture, ils oublient parfois cette période si particulière où il semble plus facile à un enfant de dire “non” que “maman”… Pourtant, quand cette première opposition touche à l’assiette, elle peut devenir un véritable casse-tête, pour les parents d’abord, mais aussi pour les pédiatres.

Le stade du refus : qu’est-ce que c’est ?

Le stade du refus – ou stade du “non”- est une étape normale et essentielle dans le développement de l’enfant.
Il survient généralement pendant la deuxième année de l’enfant, que vient augurer l’acquisition de la négation que Spitz décrit comme le troisième organisateur du développement après le sourire au visage humain (8e semaine environ) et le l’angoisse du 8e mois.

Pas une simple manifestation de déplaisir, mais une étape nécessaire.

Malgré son humble apparence et ses trois petites lettres, le “non”, est bien plus qu’un simple mot de plus, puisqu’il marque le début de la différenciation du petit humain.
En effet, prenant appui sur celui que lui oppose ses parents au moment où il commence à explorer son environnement, le “non” de l’enfant lui permet de se rendre compte de sa propre possibilité d’action sur son entourage : « Je m’oppose donc je suis ».

L’enfant, jusque-là totalement dépendant de sa mère tant sur le plan moteur que sur le plan psychique, trouve dans l’opposition les contours de lui-même, comme être différent et agissant. Le refus, par un signe de tête ou de l’emploi du mot “non”, va bien au-delà d’une simple manifestation de déplaisir, puisqu’il s’agit d’une position active signifiante d’un message adressé à l’autre. Ainsi, par ce “non”, l’enfant pose la première pierre de la pensée abstraite, puisque le mot ne se contente pas ici de désigner un objet concret.

Pourtant, à ce stade, l’enfant, qui n’a acquis ni la notion de temps, ni celle de causalité, oscille entre le refus et la soumission, en fonction d’une toute puissance qu’il attribue à lui-même ou à l’adulte. Il fonctionne alors dans un mode de pensée dualiste : l’autre est “méchant” ou “gentil”, et « je ne lui fait pas plaisir, je suis méchant, je lui fais plaisir, je suis gentil ». La position de l’enfant, dans le refus ou l’acceptation, est donc bien en lien avec l’attente de l’adulte, ou en tout cas de ce qu’il peut imaginer de cette attente.

Dans cette période, que Freud a désignée comme le “stade anal”, ces enjeux relationnels vont se fixer du côté de l’enfant, autour de ce qu’il va chercher à maîtriser, du côté des adultes autour de leurs attentes, c’est-à-dire l’acquisition de la propreté, bien entendu, mais aussi l’alimentation.

Pourquoi le refus se fixe-t-il autour de l’alimentation ?

Comme nous l’avons vu plus haut, le refus de l’enfant est une phase nécessaire, qui lui permet de se différencier du monde extérieur – et principalement de sa mère, dont il était jusque-là totalement dépendant.

Un investissement de la mère face à la nourriture.

Or, les enjeux relationnels sont tels pendant la phase de refus, que l’opposition va se fixer sur ce qui est préférentiellement investi par l’adulte.
On connaît l’importance donnée à la fonction nourricière de la mère dans nos sociétés. On s’extasie volontiers devant un bébé joufflu et gourmand et c’est, à coup sûr, la mère qu’on félicite. Ainsi, l’alimentation devient parfois pour la maman, souvent en manque de confiance, le reflet de ses capacités maternelles : « si je nourris, je suis une bonne mère, sinon, je suis une mauvaise mère », ces fausses vérités pouvant parfois malheureusement être relayées par son entourage. Outre un manque de confiance, on retrouve parfois, chez les mères, un rapport ambivalent à la nourriture, notamment chez celles souffrant ou ayant souffert de troubles du comportement alimentaire. Se jouent alors avec l’enfant, ses conflits propres entre le trop ou le pas assez nourrir. On voit bien ici que les enjeux ne sont pas les mêmes pour chacun des protagonistes et qu’ils dépassent largement le strict problème de l’alimentation : capacité de fonction maternelle d’un côté et maîtrise de l’environnement de l’autre.

Un face à face mère-enfant

Le risque est celui d’un face à face infernal entre la mère et l’enfant, qui prend rapidement l’allure d’un bras de fer : cuillère “missile”, contre mâchoire “forteresse”. Ainsi, le refus alimentaire, d’abord simple facette d’une opposition plus générale, se trouve renforcé par l’ampleur de la mobilisation qu’il provoque.

Premiers soins en face d’un refus alimentaire

Ecouter les parents, connaître le climat familial…

Le refus alimentaire de l’enfant vient généralement faire écho avec des inquiétudes anciennes et parfois profondes des parents, et particulièrement de la mère. Elle voit probablement dans ce refus le reflet de sa propre incapacité à nourrir, tandis que le père est alors confronté à son incapacité à la rassurer. Enfin, les tensions au moment des repas affectent généralement l’ensemble du climat familial, pouvoir le reconnaître et l’exprimer est déjà un premier pas vers des temps plus paisibles.

Dédramatiser et rassurer

Dédramatiser ne signifie pas minimiser un problème qui a déjà sûrement envahi l’espace familial.
Il s’agit d’abord de s’appuyer sur le constat d’une courbe de croissance toujours harmonieuse (pas de cassure) : l’enfant n’est pas en danger sur le plan somatique, il doit manger probablement plus que ce “rien” que rapportent les parents et qui leur fait si peur…
Le médecin peut les rassurer sur leurs capacités, tout en évoquant l’éventuelle fonction relationnelle de ce refus alimentaire. Une consultation avec les deux parents peut permettre, par le biais du père, de rassurer une maman très angoissée.

Retrouver le plaisir de manger, ne pas forcer l’enfant

Le plaisir de manger est souvent largement oublié derrière l’importance des enjeux relationnels.
Nos grand-mères préconisaient parfois de resservir à chaque repas les brocolis non terminés jusqu’à ce que l’enfant cède par faim, voire par désespoir… Les effets indésirables de cette méthode sont pourtant non négligeables : outre le dégoût éternel des brocolis, l’enfant risque une anticipation anxieuse des repas qui ne paraît guère profitable pour la suite. Nous préférons la diversification de l’alimentation afin que l’enfant puisse retrouver dans les saveurs, les sensations de plaisir qu’il avait parfois perdues.
Enfin, il est important que le repas puisse devenir ou redevenir un moment social agréable, de plaisir partagé, et non un lieu de tension redouté tant par l’enfant que par les adultes.

Décentrer le refus de l’alimentation

Nous l’avons vu plus haut, si l’opposition à l’adulte se fixe sur l’alimentation, elle est en fait l’expression d’un mouvement plus général. Au niveau développemental, le stade du refus est une étape importante, pendant laquelle il a cependant besoin de rencontrer les limites de l’adulte, pour ne pas se retrouver dans une place d’angoissante toute puissance. En clair, on peut se dire que l’enfant a besoin de dire non pour grandir, mais ce n’est pas lui qui doit décider pour autant. En effet, qu’un enfant refuse de manger est une chose, qu’il se transforme en petit tyran en est une autre. Le rôle du père est ici essentiel : comme figure d’autorité, soutien de la mère et tiers vis-à-vis de la dyade mère-enfant.

Et surveiller…

La surveillance somatique régulière permet de vérifier l’absence d’un retentissement somatique. Elle autorise les parents à ne plus se fixer sur le contenu de l’assiette et le nombre de calories ingérées par l’enfant. Enfin, la présence rassurante d’un médecin généraliste ou d’un pédiatre, permet aux parents de reprendre confiance en eux.

Quand se tourner vers le pédopsychiatre ?

Le refus alimentaire simple cède généralement quand le climat autour du repas s’apaise. L’enjeu relationnel en est le principal moteur, et le refus est souvent électif avec la mère de cet enfant bien souvent “hyper-éveillé ».
Il n’en est pas de même quand il s’agit d’une forme complexe qui résiste aux modifications des attitudes parentales pendant le repas. On évoque alors plutôt une véritable phobie alimentaire, qui n’est plus adressée à personne et n’a donc plus cette fonction de maîtrise de l’environnement, et, en ce sens, semble plus en lien avec des angoisses propres à l’enfant.

  • Dans le cas d’un refus alimentaire simple, il peut être opportun de recourir à la consultation pédopsychiatrique, si les parents sont trop envahis par leurs propres angoisses pour accepter de “lâcher prise” sur l’alimentation. • Devant un refus alimentaire de type phobique, il est important d’être attentif à la présence de signes associés (retrait relationnel, retard des acquisitions, instabilité psychomotrice, troubles importants du sommeil) qui évoquent d’authentiques pathologies psychiatriques et qui nécessitent l’intervention d’un spécialiste.
  • Enfin, la perte de poids significative est un facteur de gravité, tant sur le plan somatique que psychiatrique. L’urgence de la prise en charge sera, dans ce cas, avant tout somatique. Et, même si la problématique semble d’abord sur le versant du psychisme, une prise en charge conjointe somatique et pédopsychiatrique nous semble dans cette situation indispensable.

Conclusion

  • Le refus alimentaire peut n’être qu’une des facettes d’une opposition plus générale et nécessaire au développement de l’enfant.
  • Il est important que les parents puissent mettre des limites éducatives qui diffèrent des exigences alimentaires, afin de ne pas renforcer les symptômes.
  • La prise en charge est basée sur un suivi régulier dans un but de surveillance somatique de l’enfant mais aussi de réassurance et de soutien des parents.

 

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