Troubles de l’alimentation et anorexie du nourrisson et du jeune enfant

Les difficultés alimentaires sont fréquentes dans les premières années de vie, certaines sont bénignes, d’autres plus préoccupantes. Elles ont toutes un impact important dans la relation enfant-parent.

 

Les difficultés alimentaires sont très fréquentes dans les premières années de vie et toucheraient 5 à 35 % des enfants “normaux”, et 40 à 70 % des enfants prématurés ou atteints de pathologie chronique. On parle de troubles de l’alimentation de la première ou deuxième enfance lorsque les difficultés alimentaires, qui se manifestent par une incapacité persistante à s’alimenter, sont durables (plus d’un mois) et qu’elles s’accompagnent d’une absence de prise de poids ou d’une perte de poids significative.

Les travaux de ces dernières années (1-3) ont permis de distinguer différents troubles en fonction de l’âge de survenue, du contexte familial et de l’évolution, parmi lesquels l’anorexie infantile, mais aussi d’autres diagnostics.

L’anorexie infantile

Normalement, entre 6 mois et 3 ans, l’enfant apprend la différence entre la faim, la satiété, les expériences émotionnelles (frustration, colère…), et la mère (ou la personne qui nourrit l’enfant) comprend les signaux émis par l’enfant et y répond de façon adéquate. C’est dans cette tranche d’âge que les enfants souffrant d’anorexie infantile sont présentés en consultation, lors du passage à la cuiller et de la diversification, avec un pic entre 9 et 18 mois.
L’enfant mange quelques petites bouchées, puis refuse d’ouvrir la bouche et d’avaler quoi que ce soit. Il ne manifeste pas de signes de faim, ni d’intérêt pour la nourriture.
L’enfant perd du poids ; il existe des signes de malnutrition, avec retentissement sur le développement staturo-pondéral.

La préoccupation des parents

Les préoccupations parentales sont importantes, marquées par l’anxiété et le sentiment de frustration. La mère accepte que l’enfant joue pendant les repas ou propose elle-même des distractions, elle utilise des stratagèmes pour détourner son attention, elle donne à manger à l’enfant de façon très fréquente, parfois même la nuit, et tente de le nourrir de force ou par surprise.

Un enfant à tempérament difficile et une mère vulnérable

Pendant longtemps, on a fait porter à la mère seule la “responsabilité” de l’anorexie de son enfant. En fait, ce trouble survient à l’interface entre un enfant à tempérament difficile (très réactif, irritable, irrégulier dans ses rythmes biologiques de sommeil et d’alimentation) et une mère vulnérable (anxieuse, dépressive, atteinte d’un trouble du comportement alimentaire).
Les facteurs de risque de l’un, entremêlés à ceux de l’autre, débouchent sur une altération des interactions lors des repas.

Les repas se déroulant dans le conflit, l’enfant associe ensuite repas et souffrance, avec aggravation réciproque des comportements négatifs de l’enfant et de la mère (5).

Le trouble de régulation homéostasique

Dans les premiers mois de vie, le bébé, après avoir été alimenté de façon continue par le cordon ombilical, doit acquérir des rythmes de sommeil et de réveil, une alimentation discontinue en fonction des signaux de faim et de satiété. Certains enfants sont trop irritables et ne parviennent pas à être suffisamment calmes et détendus pour être nourris, d’autres boivent très vite et sont rassasiés avant d’avoir bu toute la ration, ou d’autres encore sont trop somnolents et s’endorment pendant la tétée.

Le trouble peut se fixer si la mère est dépressive,anxieuse,stressée, si elle manque de confiance en elle et n’arrive pas à gérer l’irritabilité ou la somnolence de l’enfant.

Le trouble de l’attachement ou de la réciprocité

La relation de réciprocité entre la mère et l’enfant croît rapidement à travers le contact oculaire, les vocalisations interactives, les échanges corporels. Si la relation ne se fait pas, ou si elle est de mauvaise qualité, l’alimentation et la croissance de l’enfant vont en souffrir.

Le trouble se manifeste entre 2 et 6 mois. L’enfant est dénutri, il présente aussi des signes de retard de développement moteur, cognitif et affectif :

  • apathie,
  • retrait,
  • mimique figée,
  • absence de sourire,
  • manque d’initiative,
  • manque d’interaction,
  • retard intellectuel.

Les repas sont marqués par la pauvreté des échanges entre l’enfant et sa mère, voire même une absence totale de réciprocité. L’enfant est en état de carence, tant nutritionnelle qu’affective.
L’attachement entre l’enfant et la mère est dit de type “insécure”. Les mères souffrent généralement de troubles psychopathologiques patents : schizophrénie, alcoolisme, toxicomanie, dépression. Elles sont parfois des femmes maltraitées par le conjoint.

Les évitements alimentaires

Ce trouble apparaît lors de la diversification, avec l’introduction d’aliments variés (légumes, fruits, viande, etc.).
L’enfant refuse tel aliment ou telle catégorie de nourriture, en fonction du goût, de la texture, de l’odeur, de la consistance ou de la couleur, avec, au fil du temps, un répertoire d’aliments acceptés très restreint. Cette catégorie recouvre ce que l’on appelle parfois néophobies alimentaires, aversions alimentaires, évitements alimentaires d’origine affective, sélectivité alimentaire.

  • Lorsqu’il s’agit surtout de sélectivité, avec en particulier le refus de catégories entières d’aliments, le risque est celui de déséquilibre alimentaire ou même, dans certains cas, de surpoids.
  • Si l’enfant refuse tous les aliments devant être mâchés, on peut observer un déficit de développement de la motricité orale.
  • Au maximum, est réalisé un tableau d’hypersélection alimentaire où l’enfant n’accepte que deux ou trois types d’aliments (pain, lait, et une marque unique de céréales par exemple).

Globalement, lors de la diversification, beaucoup d’enfants hésitent à accepter des aliments nouveaux, 27 % des enfants seraient dans ce cas. Mais il a été aussi montré que la présentation d’un nouvel aliment à un enfant doit souvent être répété (jusqu’à 11 présentations peuvent être nécessaires) et dans de bonnes conditions pour qu’il soit accepté.

Ces enfants peuvent souffrir d’autres manifestations anxieuses :impossibilité de marcher dans le sable ou dans l’herbe, difficulté pour accepter certains vêtements (« ça gratte »), ou ont une hypersensibilité aux bruits ou aux odeurs.

Une sensation d’insécurité accentuée par l’anxiété maternelle

Si certains auteurs évoquent une prédisposition génétique, il faut pourtant insister sur le rôle primordial de l’environnement familial. Les mères d’enfants néophobiques souffrent souvent de difficultés alimentaires elles-mêmes : phobies alimentaires, manque de plaisir, tendance au grignotage, manque de variété, et les pères ont des difficultés à contrôler leur poids.
Ces enfants effrayés par la nouveauté, le non-connu, sont des enfants anxieux qui ressentent une sensation d’insécurité, et dont l’anxiété est accentuée par l’anxiété maternelle

Les petits mangeurs (6, 7)

L’enfant mange des aliments relativement variés, mais de petites quantités le rassasient.
Il s’agit d’enfants menus,mais sans vraie dénutrition. Pendant longtemps, on s’est contenté de rassurer les mères en disant que ce n’était pas grave et qu’il valait mieux être mince qu’obèse.

Des enfants à risque d’anorexie

En fait, certains arguments (tempérament de l’enfant, évolution à distance…) laissent à penser que cette catégorie peut être une forme atténuée d’anorexie infantile, et qu’elle est un facteur de vulnérabilité pour l’apparition d’une anorexie mentale à l’adolescence.
Certains travaux ont montré que, même sans perte de poids, ces petits mangeurs garçons ou filles ont, dans le premier mois de vie, des modes de succion différents de ceux des sujets contrôles, puis, lors de la diversification alimentaire, ils acceptent un nombre plus restreint d’aliments (moins de légumes). Quant aux filles petites mangeuses, elles n’augmentent pas leurs prises alimentaires entre 3,5 et 5,5 ans. Le repérage des petits mangeurs est donc important.

Le trouble alimentaire post-traumatique

Le refus alimentaire survient après traumatisme de l’oropharynx ou de l’oesophage, soit ponctuel et familial (fausse-route, forçage alimentaire), soit dans un contexte médical (sonde d’intubation ou d’aspiration, assistance nutritionnelle entérale). Lors du traumatisme, l’enfant a manifesté une grande détresse.
Le refus alimentaire peut être total, sur tous les aliments, ou sélectif (refus du solide, mais pas du mixé ou du liquide, refus du biberon et pas de la cuiller).

L’enfant manifeste des signes d’anxiété anticipatoire dans les situations précédant le repas à la vue du biberon ou du bavoir, ou s’il entend les bruits de préparation du repas. L’enfant est en détresse quand on essaie de le nourrir. Il ferme la bouche et, s’il y a forçage, il recrache, vomit ou accumule la nourriture dans un coin de sa bouche et recrache plus tard, mais n’avale pas.
Le statut nutritionnel de l’enfant est variable, mais il peut y avoir grave déshydratation et dénutrition si le refus est global.

Deux troubles particuliers

Le mérycisme

C’est une régurgitation active et répétée de nourriture, suivie de mâchonnements.
Il débute entre 3 et 12 mois, généralement après une période de fonctionnement normal ou apparemment normal.
Les aliments partiellement digérés sont régurgités sans effort, ni nausée, ni dégoût. Souvent, un filet continu de liquide à l’odeur aigrelette coule par les commissures labiales. Le phénomène s’observe lorsque l’enfant est seul, aidé parfois par la succion du doigt, d’un linge ou d’une tétine. L’enfant paraît absorbé, le regard vide, béat, indifférent à l’environnement, silencieux. L’appétit n’est pas altéré et paraît même augmenté, et entre les épisodes de rumination, l’enfant paraît affamé.

La dénutrition est patente et, dans les formes graves, le pronostic vital peut être mis en jeu.
Ce trouble rare, touchant plus souvent les garçons que les filles, survient dans des contextes particuliers : soit dans certaines pathologies de l’enfant (retard mental, trouble autistique), soit dans des contextes de pathologie maternelle (mère froide, peu caressante, voire rejetante ou maltraitante, mère souffrant de maladie mentale).

Le pica

C’est l’ingestion répétée de substances non nutritives.
Ce comportement peut être considéré comme banal entre 6 et 12 mois quand l’enfant explore le monde, mais il est pathologique s’il devient durable, s’il n’est pas en rapport avec le niveau de développement de l’enfant, et s’il ne s’agit pas d’une pratique culturellement admise. L’enfant mange du plâtre, de la ficelle, des tissus, des cheveux, du sable, etc.

Ses complications possibles sont : une anémie, des intoxications au plomb (ingestion de peinture ou de plâtre imprégné de plomb), maladies parasitaires, bézoards, avec risque d’occlusion intestinale, et retard staturo-pondéral dans les formes graves.
Les facteurs de risque sont individuels (tels que le retard mental et le trouble autistique), et socio-familiaux (tels que la vie en milieu insalubre, la précarité, le manque de surveillance, la carence de soins).

Les traitements

  • Dans les formes sévères, comme le trouble de la réciprocité et le mérycisme, un traitement hospitalier à la fois pédiatrique et pédopsychiatrique est nécessaire.
  • Dans les autres cas, le traitement est généralement ambulatoire, mais il s’appuie idéalement sur un programme multimodal faisant intervenir à la fois un volet médical, nutritionnel et psychologique.

Les techniques cognitivocomportementales

Les approches psychothérapiques qui ont montré le plus d’efficacité sont des techniques cognitivocomportementales. Ces techniques peuvent être proposées par divers professionnels médecins ou non.

Schématiquement, après évaluation de la situation :

  • un choix des aliments est fait ;
  • un cadre matériel pour l’alimentation est précisé ;
  • une hiérarchie, avec paliers successifs et critères de réussite, est mise au point, comprenant un programme de présentation des aliments de façon progressive avec renforcements positifs pour toute étape réussie ;
  • les conséquences d’un refus de manger sont précisées au départ et appliquées.

Le thérapeute aide les parents à appliquer le programme en veillant à une diminution de leur anxiété. Les premières étapes sont donc des étapes d’évaluation de la symptomatologie chez l’enfant, du contexte familial, des habitudes alimentaires de la famille, des échanges avec l’enfant lors des repas et en dehors de ceux-ci. On définit un cadre précis pour les repas : position, vaisselle, pas de jouet.

Puis un programme comportemental est proposé adapté à la sémiologie et au contexte. Schématiquement, il consiste en l’augmentation des comportements souhaités par paliers successifs, avec renforcements positifs, et la diminution des comportements indésirables (par exemple en limitant les portions, et le temps passé, en utilisant le time-out).



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