Troubles du développement du langage et de la motricité et leurs répercussions sur les apprentissages

Savoir repérer pour diagnostiquer plus tôt

Les troubles scolaires regroupés sous le terme de troubles des apprentissages représentent le quotidien d’au moins 8 % des élèves, soit 2 à 4 enfants par classe. Ils surviennent dans un contexte de trouble neurodéveloppemental (NDl) (langage oral, motricité, fonctions exécutives, développement non verbal). Une prise en charge inadéquate ou tardive entrave le bien-être psychologique de l’enfant et engage l’avenir scolaire et professionnel à long terme, avec un parcours trop souvent chaotique. Cette prévalence importante, bien que sous-évaluée, implique que tout médecin en charge du suivi de l’enfant, est régulièrement confronté à ces troubles dans sa patientèle. Il est donc nécessaire de développer les connaissances pédiatriques dans le domaine du neurodéveloppement (ND). Les recommandations publiées par le groupe de travail de la HAS le 31 janvier 2018 (1) ont pour objectif d’améliorer le repérage et le diagnostic précoces ainsi que les réponses pédagogiques et rééducatives. Les troubles sont dits spécifiques (troubles « dys ») lorsqu’ils surviennent en dehors de toute déficience, pathologie neurologique ou génétique (1). Le DSM-5 (2) permet de classer les troubles avec une approche cognitive.

Suivre le neurodéveloppement

La régularité du suivi et de l’examen clinique, en particulier aux âges clés du développement, facilite le repérage et le diagnostic précoces (1). Le ND est progressif et multimodal. Il nécessite l’intégrité des entrées sensorielles (vue, audition) mais également une homogénéité des différentes composantes (langage, motricité, communication non verbale, fonctions exécutives) et un environnement stimulant. Il ne peut se faire par « déclic » et tout retard, quel qu’il soit, doit être évalué. Les apprentissages scolaires nécessitent une stimulation régulière (favorisée par le cadre éducatif familial) et une cohérence des informations. Le contexte émotionnel, positif ou négatif, influence la réponse hippocampique. L’anxiété a donc un effet délétère. La vulnérabilité de l’enfant dans ce contexte le rend particulièrement sensible au degré de bienveillance de son enseignant. Les apprentissages sont par ailleurs influencés par les expériences sensorimotrices de la petite enfance, sur la base de compétences innées précoces (3). Ils sont par la suite renforcés par les jeux de la petite enfance et la stimulation parentale. Les conseils de guidance et de stimulation, de jeux éducatifs et d’éviction des écrans donnés par le médecin de l’enfant favorisent l’émergence des apprentissages précoces et, de fait, limitent les besoins de rééducation prescrite dans le cadre des retards simples.

Évaluation clinique

Toute plainte concernant le ND doit être explorée par le médecin de l’enfant, quel que soit l’âge. Les inquiétudes peuvent être formulées par la famille mais également l’environnement social (entourage, nourrice, collectivité) et scolaire. À l’école, les plaintes sont souvent en lien avec les conséquences de troubles et les comportements qu’elles génèrent. L’évaluation clinique consiste en un examen somatique complet à la recherche d’anomalies cutanées (taches café au lait en particulier) et de causes organiques à d’éventuelles difficultés de concentration (syndrome d’apnée du sommeil, dysthyroïdie, signes cliniques d’anémie, pathologie organique sous-jacente…). Il s’agit également de s’assurer de l’intégrité neurosensorielle (ouïe, vue), de la normalité de l’examen neurologique et de l’absence de troubles psychiques sous-jacents ou associés.
Une partie importante des plaintes peut être améliorée à cette étape. Le bilan psychométrique n’est pas nécessaire pour les soins de premier recours. En cas de situation complexe ou de difficulté diagnostique, l’enfant sera orienté vers un médecin de niveau II (1). Dans un objectif de lisibilité, les troubles du ND sont présentés séparément mais coexistent le plus souvent cliniquement.

Troubles du langage oral

Le diagnostic des troubles du langage oral est facilité par la connaissance de son développement. Ce dernier est progressif, émergeant dès la naissance. Toutes ses composantes, verbales et non verbales, sont nécessaires. Les premiers sons, associés à la prosodie et à la communication gestuelle et visuelle posent les bases du langage structuré. À l’âge de 3 ans, l’enfant doit être capable d’échanger, de produire et de comprendre des phrases complexes avec un vocabulaire riche. Il est donc erroné d’attendre « le déclic de l’entrée à l’école ». Il appartient au médecin traitant de l’enfant de repérer les retards aux âges clés, de proposer une guidance parentale et d’évaluer son efficacité à 3 mois. Des questionnaires à destination des parents et évaluant le développement verbal et non verbal sont disponibles dès la naissance (par exemple, l’Inventaire français du développement communicatif, IFDC).

Tests et bilans

Si le retard persiste en dépit de la guidance, un bilan orthophonique est proposé. Les tests étalonnés d’évaluation du langage sont réalisables dès l’âge de 2 ans et 6 mois avec une rééducation possible au décours. Cette prise en charge doit être réévaluée, tant par le rééducateur que par le médecin de l’enfant à 6 ou 12 mois de prise en charge.
En cas de persistance des difficultés, d’examen clinique anormal et/ ou d’anomalie développementale associée, l’enfant et sa famille seront orientés vers le médecin de second recours (1).
Ainsi, dès 18 mois, l’absence de babillage ou de mots signifiants doit être explorée.
À 24 mois, ce sont l’absence d’association de mots, un langage pauvre et/ ou un doute sur la compréhension du langage courant qui alertent.
À partir de 3 ans, un bilan doit être réalisé en cas de langage peu intelligible, de phrases rares, voire absentes ou à la syntaxe pauvre et en cas de doute sur la compréhension conversationnelle.
À chacun de ces stades développementaux, l’intégrité de l’audition et la qualité de la communication non verbale doivent être vérifiées. Les troubles du langage oral peuvent être la première manifestation clinique de certaines formes de troubles du spectre de l’autisme (TSA). Le diagnostic de trouble spécifique du langage oral de type dysphasie d’expression peut être posé si le trouble persiste en dépit d’une rééducation orthophonique adaptée et en l’absence de causes développementales limitant les progrès (troubles moteurs associés, déficience, troubles sensoriels, cause périnatale ou génétique, TSA). Il doit s’appuyer sur un bilan orthophonique précisant le type d’atteinte (phonologie, lexique, syntaxe). Si le trouble est associé à des difficultés de compréhension, un avis de niveau II est nécessaire.
Le diagnostic de dysphasie implique une surveillance rapprochée de l’entrée dans le langage écrit et une information de l’équipe enseignante qui mettra en place des supports pédagogiques adaptés aux besoins de l’enfant.

Troubles du langage écrit

La dyslexie, trouble spécifique d’entrée dans le langage écrit, est un handicap majeur mais invisible. Elle est définie, selon le DSM V, comme une « difficulté spécifique et significative de la lecture et/ou de la production d’écrit et de l’orthographe, persistant depuis plus de 6 mois (…) ». Un diagnostic précoce permet de proposer les supports pédagogiques adaptés et une remédiation orthophonique.
Les plaintes orientant vers un trouble du langage écrit correspondent à des difficultés en lecture (lente, imprécise, avec une compréhension difficile) et productions d’écrit (écrit pauvre, dysorthographie). Il peut également s’agir de plaintes dans le cadre familial sous forme de conflits systématiques à l’occasion des devoirs à la maison. Dès le deuxième trimestre du CP, une attention particulière sera portée à la qualité du langage écrit en cas de trouble du langage oral ou en cas de difficultés d’entrée dans la lecture des syllabes ou dans la conversion grapho-phonémique (transcription des sons). Les troubles sensoriels doivent être éliminés.
La réalisation d’un bilan développemental, éventuellement associé à un bilan psychométrique, permet d’éliminer une déficience et/ou un trouble neurologique ou de type autistique. Les anomalies d’entrée dans le langage écrit doivent être évaluées par un bilan orthophonique de langage oral et écrit. Ce bilan précise le profil langagier, ses forces et ses contraintes, tant pour le langage oral que pour le langage écrit (1). En cas de trouble avéré ou de profil langagier hétérogène, l’effet de la rééducation orthophonique doit être réévalué 12 à 18 mois après son initiation afin de solliciter une expertise auprès d’une équipe de niveau II si l’évolution n’est pas satisfaisante. Tout trouble du langage écrit implique une surcharge cognitive nécessitant des aménagements spécifiques dans le cadre scolaire proposés au regard des résultats du bilan orthophonique : octroi de temps supplémentaire lors des évaluations et des épreuves d’examen, non-pénalisation des fautes d’orthographe et de la pauvreté syntaxique, supports écrits allégés et dans certains cas, une compensation informatique.

Troubles de la cognition mathématique

Les troubles du langage écrit peuvent être associés à des difficultés ou à de véritables troubles de la logique mathématique et du calcul. Le bilan orthophonique permet d’évaluer l’importance des difficultés et leur nature mais également de préciser leur origine, en particulier en cas de trouble du langage associé. Certaines difficultés sont liées à une incompréhension de l’énoncé de l’exercice du fait du vocabulaire, spécifique aux mathématiques, mais également de la tournure des phrases. Dans d’autres situations, le trouble est plus global, en lien avec le développement initial des compétences mathématiques. La nature des troubles s’explique par la mise en place précoce des acquisitions mathématiques sur un modèle dit de « triple code » (3). Le système analogique de représentation des quantités, impliqué dans le calcul approximatif, est présent précocement chez le nourrisson (4). Cette représentation est en interaction avec deux autres systèmes : la représentation auditivo-verbale, soumise aux codes culturels du langage (5) et la représentation visuelle arabe reposant sur la base 10 et intervenant dans les calculs écrits, mentaux complexes et le jugement de parité (6) (Fig. 1).

Figure 1 – Modèle du « triple code » selon Dehaene et Cohen, Cognition 1992 ; 1-42.

Les troubles du calcul peuvent être dépistés dès la grande section de maternelle en cas de difficultés à énoncer la chaîne verbale, d’erreurs de comptage, de dénombrement, de reconnaissance du chiffre. En primaire, quel que soit le niveau de classe, un bilan sera proposé si l’enfant est en difficulté pour l’apprentissage des tables de multiplication, pour le calcul mental, la pose des opérations et les techniques opératoires et/ou en résolution de problèmes.

Troubles de l’organisation et de la planification du geste

Les troubles moteurs ayant des conséquences sur les apprentissages peuvent être détectés précocement. Il s’agit de troubles de l’organisation et de la planification du geste (selon le DSM 5, troubles développementaux de la coordination) se manifestant à l’âge scolaire par des troubles graphiques et/ou des troubles de l’utilisation des outils scolaires (7). La prévalence est de 5 à 8 % des enfants en âge scolaire. Les enfants sont décrits comme inattentifs, maladroits, lents et peu autonomes dans la vie courante. Dans le cadre scolaire, dès la moyenne section de maternelle, les plaintes portent sur les répercussions des difficultés en motricité globale et/ou fine et, souvent, dans l’organisation visuo-spatiale : difficultés graphiques, instrumentales, de repérage spatial et dans les activités sportives. Les enfants sont décrits comme peu soigneux, paresseux, lents et refusant l’effort, voire opposants. À ce stade, l’enfant et sa famille sont déjà en souffrance.

Bilan et repérage précoce

Le médecin, dans le cadre de sa consultation, s’assurera de la normalité de l’examen somatique, en particulier dans sa composante neurologique. L’évaluation de l’intégrité de l’ensemble des fonctions visuelles est par ailleurs indispensable (vue, oculo-motricité et, selon les troubles, évaluation neurovisuelle). Le médecin traitant peut, à ce stade, si les troubles paraissent modérés, proposer une guidance éducative en conseillant le recours à des activités sportives simples (baby- gym, natation) et aux jeux éducatifs faisant intervenir la motricité. En cas de difficultés nettes, en particulier visuo-spatiales et/ou dans les coordinations motrices, un bilan en psychomotricité ou en ergothérapie (selon les spécificités régionales) doit être proposé. Il n’y a pas, chez l’enfant, d’indication neurodéveloppementale à la graphothérapie. Si le trouble moteur est associé à un autre trouble développemental ou s’il évolue peu sous l’effet d’une rééducation bien menée pendant 6 à 9 mois, le patient et sa famille seront adressés à un spécialiste de niveau II.
Le repérage précoce et la prise en charge de troubles neurodéveloppementaux et des apprentissages scolaires peuvent paraître complexes de prime abord. Ils correspondent finalement à l’application systématique des consignes de suivi aux âges clés de l’enfant. Toute anomalie clinique, toute plainte des parents et/ou de l’environnement social et éducatif de l’enfant doit faire l’objet d’une analyse et d’un examen clinique. La prise en charge précoce limitera les complications qui, dans le domaine neurodéveloppemental, affectent la santé de l’enfant mais également son avenir scolaire et professionnel (8,9). Les différents spécialistes de l’enfance doivent proposer une action conjointe intégrant le ND et les actions pédagogiques ciblées. La systématisation du dépistage conduira à une augmentation de la prévalence des troubles neurodéveloppementaux. Il en résultera néanmoins une prévalence moindre des comorbidités et des complications et donc des échecs scolaires. En sus du bien-être de l’enfant-élève et de sa famille, l’enjeu en termes de santé publique est majeur à long terme réduisant considérablement le coût des prises en charge des situations complexes (Fig. 2).

Figure 2 – Signes d’alerte extraits des recommandations HAS. Nous remercions la Haute Autorité de santé de nous avoir autorisés à reproduire cette fiche. Elle est également consultable sur le site www.has-sante.fr rubrique Outils, Guides & méthodes.


Références

  1. HAS. Comment améliorer le parcours de santé d’un enfant avec troubles spécifiques du langage et des apprentissages. Décembre 2017.
  2. DSM-5, manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux. American psychiatric Association. Elsevier Masson, février 2018.
  3. Dehaene S. Fondements cognitifs de l’apprentissage des mathématiques. Collège de France. 3 mars 2015.
  4. Dehaene S et al. Three parietal circuits for number processing. Cognitive Neuropsychology 2003 ; 487-506.
  5. Dehaene S. Origins of mathematical intuitions: the case of arithmetic. Ann NY Acad Sci 2009 ; 1156 : 232-59.
  6. Dehaene S, Cohen L. Towards an anatomical and functional model of number processing. Mathematical Cognition 1995 ; 1 : 83-120.
  7. Albaret JM, Chaix Y. Trouble d’acquisition de la coordination (TAC) C’est quoi ? Et comment ça se soigne ? Pédiatrie Pratique. Février 2015.
  8. Pouhet A. Connaître les dys – et en mesurer les enjeux. Enfances & Psy 2016 ; 3 : 88-104.
  9. Speranza M, Valeri G. Trajectoires développementales en psychopathologie : apprentissages et construction de soi chez l’enfant et l’adolescent. Développements 2010 ; 3 : 5-15.

Publié

dans

par