Utilisation des sucettes chez le nourrisson de moins de 7 mois

L’étude TETINE a permis de caractériser l’usage de la sucette dans une large population de nourrissons de moins de 7 mois suivis en médecine libérale, de décrire ses bénéfices et risques tels que perçus par les parents comme par les médecins généralistes et les pédiatres libéraux et de mesurer l’impact de l’environnement des nourrissons dans ce contexte. 1 629 nourrissons ont été inclus dans cette étude dont 86 % étaient utilisateurs de sucette de façon exclusive ou combinée avec le pouce ou les doigts.

Dr Paule Nathan (Endocrinologue, nutritionniste, Paris)


Rationnel

Les informations disponibles sur les bénéfices et les risques liés à l’utilisation de la sucette chez le nourrisson sont contradictoires (1).

Par ailleurs, les études réalisées n’ont pas cherché à évaluer réellement la dimension sociologique ou comportementale de l’utilisation de la tétine et la décision d’utiliser ou non la sucette chez les nourrissons reste le plus souvent un choix personnel des parents.

Dans ce contexte, cette enquête visait à mieux comprendre la perception des parents, mais aussi des médecins vis-à-vis de la sucette ainsi que ses motifs d’utilisation par le nourrisson.

Méthodologie

TETINE est une enquête observationnelle, transversale, nationale et multicentrique conduite de janvier à juillet 2016 et menée chez le pédiatre et le médecin généraliste en France métropolitaine.

Chaque médecin devait recruter, dans sa pratique quotidienne, 4 nourrissons âgés de moins de 7 mois.

Les données « patient » ont été recueillies par le médecin sur le cahier d’observation et auprès des parents au travers d’un autoquestionnaire. De plus, le médecin était invité à compléter un questionnaire déclaratif sur ses opinions et pratiques vis-à-vis de la sucette.

Objectifs de l’enquête

Objectif principal

Identifier les principaux déterminants, en particulier socio-comportementaux, de l’utilisation de la sucette chez le nourrisson de moins de 7 mois.

Objectifs secondaires

  • Estimer la proportion d’utilisateurs de sucette en France chez une population de nourrissons (< 7 mois) vus en consultation de médecine de ville.
  • Décrire les caractéristiques cliniques, sociales, les antécédents médicaux et les symptômes présentés par les nourrissons, au total et selon leur utilisation de la sucette.
  • Décrire l’opinion des parents/titulaires de l’exercice de l’autorité parentale vis-à-vis de la sucette.
  • Décrire l’opinion des médecins visà- vis de l’utilisation de la sucette.

Spécifiquement pour les nourrissons utilisateurs :

  • Décrire les modalités pratiques et les contextes d’utilisation de la sucette.
  • Évaluer l’utilité de la sucette pour les parents/titulaires de l’exercice de l’autorité parentale.

Populations étudiées

433 médecins ont inclus au moins un nourrisson, dont 373 pédiatres libéraux (86 %) et 60 médecins généralistes (14 %). Ils étaient en majorité des femmes (62 %) et d’un âge moyen de 51 ± 10 ans.

1 629 nourrissons ont été inclus dans l’analyse, dont 1 372 avec un autoquestionnaire parents évaluable (84 %).

Au total, 85,5 % des nourrissons utilisaient une sucette de façon exclusive ou combinée avec le pouce ou les doigts (habitude installée depuis au moins 2 semaines) (Fig. 1).

Figure 1 – Habitude actuelle ou passée de succion (n = 1 629).

Caractéristiques générales des nourrissons

Les nourrissons, âgés en moyenne de 15 ± 7 semaines (3,5 ± 1,7 mois) et d’un poids moyen de 6,1 ± 1,4 kg à l’inclusion, étaient de sexe féminin ou masculin dans des proportions équivalentes. À la naissance, leur poids moyen était de 3,3 ± 0,5 kg ; ils étaient nés par voie basse dans 85 % des cas et à terme pour 95 % d’entre eux. Le nombre moyen de grossesses de la mère était de 1,7 ± 0,9 (y compris l’enfant inclus).

Les nourrissons utilisateurs de sucette étaient plus souvent les aînés de la fratrie ou les enfants uniques (52 versus 43 % chez les non-utilisateurs de sucette). Ces nourrissons étaient par ailleurs plus souvent nés par césarienne que les autres enfants (dans 16 % des cas versus 11 % chez les autres nourrissons, p = 0,055). Les deux parents étaient âgés de 33 ± 5 ans et de 30 ± 5 ans. Ils vivaient en couple dans 98 % des cas, et en zone urbaine pour 60 % d’entre eux. Les deux parents d’enfants utilisateurs de sucette avaient plus fréquemment une activité professionnelle en tant qu’employés (32 versus 27 % et 40 % versus 31 %) et ces nourrissons étaient plus souvent confrontés au tabagisme d’un membre du foyer au domicile (18 versus 13 %, p = 0,070).

Alimentation des nourrissons

Que ce soit à la maternité ou à l’inclusion des nourrissons dans l’étude, leur type d’alimentation était statistiquement différent selon l’utilisation ou non de la sucette.

À la maternité comme lors de l’inclusion dans l’étude, l’allaitement maternel exclusif avait été moins fréquent chez les nourrissons utilisateurs de sucette que pour les autres enfants (42 versus 67 % puis 17 versus 37 %) (Fig. 2).

Figure 2 – Alimentation des nourrissons selon l’utilisation ou non d’une sucette (n = 1 629).

Habitudes de succion non nutritive/emploi de la sucette

Chez les nourrissons utilisateurs de sucette (n = 1 394) :

  • 72 % l’avaient depuis leur naissance,
  • 96 % l’utilisaient encore lors de l’inclusion dans l’étude,
  • 94 % l’utilisaient de façon quotidienne,
  • 83 % l’utilisaient aussi bien le jour que la nuit,
  • avec 3 heures de durée médiane d’utilisation en journée.

Les principales situations de recours à la sucette étaient les suivantes :

– apaiser l’enfant (chez 81 % des nourrissons),

– aider l’enfant à dormir (80 %),

– et maintenir l’enfant calme et serein (69 %).

Les principales sources d’information des parents sur l’utilisation de la sucette étaient :

– la famille (61 %),

– les amis (36 %),

– et/ou la sage femme (34 %),

– les médecins n’ayant été cités que dans 19 % des cas.

Une minorité de parents (23 %) a été incitée à arrêter cette utilisation, principalement en raison du risque pour la dentition de l’enfant (dans 64 % des cas) et du manque d’hygiène (42 %). Les personnes ayant incité les parents à l’arrêt de l’utilisation de la sucette étaient essentiellement la famille (56 %), le médecin (34 %) et les amis (28 %).

Signes cliniques et manifestations pathologiques au cours des 4 dernières semaines

La quasi-totalité des nourrissons (98 %) avait présenté au moins un signe clinique au cours des 4 dernières semaines, et cette proportion était statistiquement plus élevée chez les utilisateurs de sucette (p = 0,036) :

  • Au moins un signe respiratoire (29 versus 22 %, p = 0,028) avec plus fréquemment des rhinites à répétition (21 versus 15 %, p = 0,015).
  • Au moins un signe digestif (88 % versus 84 %, p = 0,067) avec des vomissements dans 26 % des cas (versus 20 %, p = 0,032).

Opinions des parents et des médecins vis-à-vis de la sucette

Dans la très grande majorité des cas, les parents ont considéré la sucette comme étant assez utile (57 % des cas) ou très utile (36 %) (Fig. 3).

Figure 3 – Opinions des parents et des médecins vis-à-vis de la sucette (n = 1 372).

Les avis des médecins étaient partagés, entre médecins « pas du tout » ou « peu favorables » à la sucette (51 %) et médecins « assez » ou « très favorables » à son utilisation (49 %). Toutefois, la majorité des médecins a affirmé faire des recommandations aux parents sur l’utilisation de la sucette (parfois : 39 % ; souvent : 30 %).

En comparant les avis des parents et des médecins, on constate que leurs opinions étaient concordantes à l’exception de deux affirmations. Les parents pensaient que la sucette était préférable au pouce (66 %) alors que les médecins étaient moins souvent de cet avis (44 %). De même, les parents étaient majoritairement d’accord avec le fait que la sucette apaise les coliques (58 %) ce qui n’était pas le cas chez la majorité des médecins (48 %).

Facteurs explicatifs de l’utilisation de la sucette

Sur la base des caractéristiques des nourrissons, de leurs données familiales et environnementales et des caractéristiques des médecins, 3 facteurs prédictifs indépendants de l’utilisation de la sucette ont été mis en évidence :

  • L’alimentation du nourrisson, autre que l’allaitement maternel exclusif lors de l’inclusion (p < 0,0001 ; formule infantile exclusive versus allaitement maternel exclusif : OR = 3,14, IC 95 % [2,28 ; 4,31] ; allaitement mixte versus maternel exclusif : OR = 1,65, IC 95 % [1,04 ; 2,64]).
  • La naissance de l’enfant par césarienne (versus par voie basse : OR = 1,59, IC 95 % [1,03 ; 2,48] ; p = 0,0384).
  • La position du nourrisson dans la fratrie (du plus jeune à l’aîné ; OR = 1,18, IC 95 % [1,01 ; 1,37], p = 0,0386). Autrement dit, les aînés avaient plus de chance d’utiliser la sucette comparativement à leurs frères et soeurs.

Conclusions

Cette étude a tout d’abord montré la forte prédominance des nourrissons utilisateurs de sucette dans la population étudiée (86 %), en accord avec les données récentes de la littérature (2).

Trois facteurs prédictifs indépendants de l’utilisation de la sucette ont été identifiés chez ces nourrissons : une alimentation autre qu’un allaitement maternel exclusif, la naissance de l’enfant par césarienne et la position de l’enfant dans la fratrie (aîné ou enfant unique plus spécifiquement). En revanche, les antécédents et la symptomatologie récente des nourrissons, ainsi que les caractéristiques des parents et des médecins ne sont pas apparus comme étant déterminants dans l’usage ou non de la sucette par les nourrissons.

Les médecins étaient partagés entre cliniciens pas du tout ou peu favorables à la sucette (51 %) et médecins assez ou très favorables à son usage (49 %). De leur côté, les parents de nourrissons utilisateurs de sucette la considéraient comme étant assez ou très utile dans 93 % des cas. Globalement, les bénéfices et risques perçus par les médecins étaient cependant similaires à ceux des parents.

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts avec la rédaction de cet article.


  1. Nelson AM. A comprehensive review of evidence and current recommendations related to pacifier usage. Journal of Pediatric Nursing 2012 ; 27 : 690-9.
  2. Garbin CA, Garbin AJ, Martins RJ et al. Prevalence of non-nutritive sucking habits in preschoolers and parents’ perception of its relationship with malocclusions. Cien Saude Colet 2014 ; 19 : 553-8.

 


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