Les allergies aux colorants

L’allergie aux colorants alimentaires et pharmaceutiques est une réalité. Mais, comme celle aux additifs, sa fréquence reste faible. Les colorants le plus souvent mis en cause sont l’annatto (colorant végétal naturel) et le carmin de cochenille (colorant animal naturel). S’y ajoute la tartrazine (colorant azoïque de synthèse). Toutefois, la fréquence des allergies aux colorants alimentaires est très loin de celle des principales AA (arachide, fruits à coque, lait de vache, oeuf de poule, poissons et fruits de mer, fruits exotiques, sésame, blé, etc.). Le seul traitement de l’allergie à un ou plusieurs colorants est l’éviction, après avoir fait la preuve indiscutable de leur responsabilité clinique.

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Introduction

Les colorants appartiennent à deux groupes, alimentaire et pharmaceutique, mais la plupart d’entre eux sont présents dans les deux catégories. Pour le grand public, et même chez les médecins, les colorants (et les additifs) sont considérés comme potentiellement responsables d’une multitude d’allergies. De fait, une requête sur le moteur de recherche Google pour l’item “allergies aux colorants” donne 478 000 résultats. À la date du 7 avril 2015, d’autres requêtes, parfois plus ciblées, donnent également de nombreuses réponses : “allergies aux colorants alimentaires” (98 300 résultats), “allergies aux additifs alimentaires” (169 000 résultats), “allergies aux conservateurs alimentaires” (292 000 résultats) et surtout “allergies aux colorants pharmaceutiques” (2 400 000 résultats). En interrogeant la base de données des articles indexés par PubMed, on obtient 307 articles pour “allergy to food dyes”, 931 pour “allergy to additives”, 1 281 pour “allergy to flavouring agents”, et 2 645 pour “food additives allergy” !

Comment distinguer le vrai du faux, les croyances de la réalité ? C’est l’objet de cette revue.

Définitions et classifications

Additifs alimentaires

La directive 89/107 de la CEE du 21 novembre 1988 définit les additifs alimentaires comme “toute substance non consommée comme aliment en soi, habituellement non utilisée en tant qu’ingrédient dans l’alimentation, possédant ou non une valeur nutritive…” [1]. Leur ajout aux aliments sert à améliorer la conservation, la stabilisation ou les caractéristiques du produit fini. Aux doses utilisées, l’additif ne doit présenter aucun danger pour la santé et répondre à des critères de pureté. Dans chaque produit, les fabricants doivent préciser la présence et la quantité d’additifs [1].

Colorants alimentaires

Les colorants alimentaires sont répartis en trois catégories en fonction des modalités de leur utilisation :

  1. pour colorer la masse et la surface ;
  2. seulement la surface ;
  3. pour certains usages (coloration des croûtes de fromage1).

Le règlement de l’UE n°1093 du 16 octobre 2014 a modifié le précédent

règlement concernant la coloration du fromage : “L’extension de l’utilisation de la cochenille, de l’acide carminique et des carmins (E 120) aux fromages au pesto rouge et du roucou, de la bixine et de la norbixine (E 160b) aux fromages au pesto rouge et vert constitue une mise à jour de la liste de l’UE” [2]. Dans l’UE, le colorant ou l’additif est affecté d’un numéro précédé de “E” pour “Europe”. Par exemple, la tartrazine (synonymes : Food Yellow 4 ou 74.705 FD+C Yellow No. 5 pour la FDA) est appelée plus simplement E 102 en Europe (Tableau I).

 

Colorants pharmaceutiques

Les colorants pharmaceutiques, souvent les mêmes que les colorants alimentaires, sont classés comme suit :

  1. matières colorantes minérales (carbonate de calcium, oxyde de fer, dioxyde de titane) ;
  2. matières colorantes d’origine minérale comme les colorants jaunes (carotènes, canthaxanthines, curcuma, etc.), bruns (caramel), bleu (indigotine), vert (chlorophylle), noir (charbon végétal) ;
  3. colorants organiques de synthèse, de couleur jaune (tartrazine, jaune de quinoléine, bêtacarotène, etc.), orange (jaune orangé S), rouge (azorubine, coccine nouvelle, érythrosine), noire (noir brillant), brune (brun chocolat) [3, 4].

Les termes “additifs et colorants” inquiètent le grand public. Ils désignent un grand nombre de substances très différentes les unes des autres : colorants, antioxydants, conservateurs, arômes, édulcorants, releveurs de goût, agents de texture, gélifiants, émulsifiants, etc. Certains sont capables de provoquer des effets indésirables : benzoates, carmin, érythrosine, gélatine, glutamate de sodium, nitrites, sulfites, tartrazine, vanille, vanilline.

La phobie des colorants et additifs est très ancienne puisque, en 1976, une rumeur se propagea, alimentée par un tract dit “Circulaire de Villejuif”, qui dressait une liste d’additifs alimentaires dont 187 étaient qualifiés comme “toxiques” et 27 comme “suspects”, en s’appuyant sur la notoriété du célèbre hôpital, totalement étranger à l’élaboration de la liste. Le caractère farfelu (au minimum) ou mensonger était illustré par le cas de l’additif E 330, présenté comme le plus dangereux, alors qu’il s’agissait simplement de l’acide citrique existant en abondance à l’état naturel dans les agrumes [3]. L’Institut Gustave-Roussy publia un démenti [4]. Ce tract revient périodiquement sur le net…[5]

Le diagnostic positif

Le diagnostic de l’allergie et des intolérances aux colorants (auxquels cette revue se limitera) se réfère aux étapes du diagnostic allergologique classique [6] :

  1. interrogatoire précisant les circonstances d’apparition des symptômes ;
  2. enquête alimentaire catégorielle (relevé pendant une semaine des divers aliments consommés) ;
  3. décodage des étiquetages ;
  4. dosage des IgEs pour certains colorants (sur demande de couplages spéciaux) ;
  5. TPO au colorant2.

En plus de 30 ans [7], on a pu retenir des effets allergiques uniquement pour quelques colorants : tartrazine (E 102), érythrosine (E 127), jaune orangé S (E 110), bleu patenté V (E 131), amarante (E 123), annatto (E 160b), bleu patenté V (E 131), carmin de cochenille (E 120). Le fait que certains colorants soient “naturels”, c’est-à-dire extraits de plantes ou d’animaux, ne diminue pas leur risque allergique, bien au contraire… L’étude des critères de diagnostic ne peut être exposée que colorant par colorant3 [8, 9].

Le diagnostic étiologique

Fréquence

Additifs et colorants confondus, la prévalence des réactions adverses à ces substances (toutes causes confondues, allergiques ou autres) reste très faible dans les deux études disponibles de 0,03 % à 0,20 % [11- 12]. L’étude de Fuglsang et al. [13] surestime la prévalence de l’intolérance aux additifs (2 %), car effectuée sur une casuistique de seulement 271 enfants âgés de 5 à 16 ans.

La fréquence des réactions adverses aux additifs et colorants admise entre 0,03 % à 0,20 % est à comparer avec la fréquence de l’AA [14]. Celle-ci est estimée autour de 3 % sur la base d’un TPO positif. La fréquence de l’AA estimée par les plaintes du patient ou celle de l’AA à un moment quelconque de la vie est située largement au-dessus de 10 % [14]. L’étude de trois cohortes d’enfants, “A” (nés en 1989), “B” (nés entre 1994 et 1996) et “C” (nés entre 2001 et 2002), montre que, à l’âge de 4 ans, la fréquence de l’AA à l’arachide est passée de 1,3 % à 3,3 % en plus de 10 ans [15].

L’annatto (fig. 1)

L’annatto (Orange yellow) ou roucou est produit à partir d’une espèce d’arbres ou d’arbustes des régions d’Amérique tropicale (Bixa orellana). Il est utilisé comme colorant de certains fromages (mimolette, edam, gouda, etc.), de filets de haddock, de recado rojo (sauce mexicaine), etc.

  • En 1978, Mikkelsen et al. [16] ont effectué des TPO à l’annatto à une dose de 25 grammes chez 56 patients atteints de prurit et d’angio-oedème : 26 % des tests étaient positifs, devant plusieurs colorants dont l’amarante (9 %), la tartrazine (11 %), l’érythrosine (12 %) et le rouge ponceau 4R (15 %).
  • Un cas d’anaphylaxie a été décrit 20 minutes après l’ingestion de lait et de céréales colorées à l’annato : cette réaction était IgE-dépendante avec PT fortement positif chez le patient et négatif chez les témoins [17]. Dans cette observation, deux allergènes protéiques de PM autour de 50 kDa ont été isolés.
  • Ebo et al. [18] ont rapporté un cas d’anaphylaxie récidivante IgE médiée à l’annatto après consommation de Gouda. D’autres cas d’anaphylaxie, en particulier professionnelle, ont été publiés [19, 20]. Toutefois, la FDA ne considère pas l’annatto comme un allergène alimentaire important.

Figure 1 – Annatto

Le carmin de cochenille

Le carmin de cochenille (carmine dye, E 120) est un colorant naturel obtenu à partir des corps séchés des femelles de l’insecte Dactylopius coccus var. Costa. Il est très utilisé dans l’industrie alimentaire (charcuteries, saucisses de Francfort, tarama, jus de fruits, yaourts, sodas, sirops, alcools, etc.), en cosmétologie, en pharmacie, etc. Le rouge cochenille A (E124) est obtenu par synthèse.

  • E 120 est responsable de nombreux cas d’allergies IgE-dépendantes : i) rhinite et asthme professionnels chez les ouvrières manipulant les corps séchés de cochenilles ou des épices à base de cet insecte, également chez les bouchers et les charcutiers ; ii) anaphylaxies après ingestion de boissons alcoolisées ou non (syndrome du Campari© Orange) [21, 22].
  • Une observation de réaction adverse à l’azithromycine dont les comprimés étaient colorés en rouge était en fait une allergie au carmin [23]. En date du 7 avril 2015, il existe 55 articles sur “carmine dye allergy” sur PubMed.

La tartrazine

La tartrazine (Sunset yellow, FD&C Yellow 5, E 102) est un colorant azoïque de synthèse employé pour la coloration des aliments et des médicaments. La requête “allergy to tartrazine” sur PubMed fournit 194 articles.

  • Au début des années 1980, E 102 a été incriminé dans des symptômes comme l’urticaire, l’asthme et également dans quelques cas d’anaphylaxies. Une anaphylaxie récidivante avec angio-oedème du pénis et du scrotum, survenue chez un adolescent, a été imputée à la tartrazine après la positivité d’un TPODA : urticaire généralisé et angio-oedème des lèvres et des bras, 2 heures après l’ingestion du colorant [24].
  • La tartrazine a également été mise en cause au cours de la rhinite, de l’asthme, de l’urticaire ou de l’intolérance aux AINS, mais une étude basée sur les TPODA (35 mg de tartrazine ou de placebo) effectués chez 26 patients atteints de ces affections s’est révélée négative : tous les tests furent négatifs, n’entraînant aucun symptôme cutané, respiratoire ou cardio-vasculaire [25]. Une autre étude a innocenté la tartrazine au cours de la DA [26].
  • Au cours de l’UC, le rôle de la tartrazine a été diversement apprécié. En 2014, parmi 100 patients atteints d’UC, deux individus seulement avaient un TPO positif à un ou plusieurs additifs ou colorants : aucun n’était positif pour E 102 [27].
  • Comme pour le carmin de cochenille, un médicament coloré (thyroxine, Synthyroid©) était responsable d’un rash, non par son principe actif, mais à cause des colorants qu’il contenait (tartrazine et rouge N°3) [28].

Au cours des années 1970, un médecin américain, Benjamin Feingold (1899-1982) a produit un livre Why Your Child is Hyperactive, dans lequel il associait le TDAH à des “intoxications alimentaires”. Il a conçu, de façon empirique, un régime alimentaire qui a connu une certaine popularité, cela malgré l’absence de recherches confirmant le lien entre l’alimentation et le TDAH4. Feingold affirmait qu’il était parvenu à guérir la moitié de ses jeunes patients atteints de TDAH grâce à un régime sans salicylates, présents dans certains végétaux, et sans additifs alimentaires (agents de conservation ou stabilisants, colorants, édulcorants, etc.). L’expérience professionnelle montre que le pourcentage d’enfants qui peuvent devenir hyperactifs en consommant des additifs alimentaires est très faible. Le sucre et l’aspartame (un édulcorant artificiel) ont aussi été accusés d’avoir entraîné de l’hyperactivité, mais des études bien structurées n’ont pas trouvé d’évidence pour appuyer ces prétentions5 [29].

Autres colorants

D’autres colorants ont été incriminés dans certains cas d’allergies IgE-dépendantes. Ce sont les carragghénanes (E 407) [30], la gomme adragante (E 413) [31] et le bleu patenté V (E 131) impliqué dans de nombreux cas d’anaphylaxie IgE-dépendantes, en particulier au cours de lymphographies [32, 33].
L’allergie IgE-dépendante à l’érythrosine (E 127) est discutée et rare [34].

Traitement

Le seul traitement de l’allergie au colorant est préventif : c’est l’éviction. Pour les maladies professionnelles, il faut proposer le changement de poste de travail et une protection efficace.

Références

L’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêts concernantla rédaction de cet article.


1. Le roucou (ou annatto) est un colorant naturel (étiqueté E 160b en Europe) pour certains fromages, le beurre et les pâtes à tartiner dont les pigments sont la bixine et la norbixine, extrait des graines rouge vif d’un arbuste tropical (Bixa orellana L.). Le cheddar, jaune pâle, est également coloré avec de l’annatto.

2. En cas de suspicion suffisante, on peut proposer un TPO avec le colorant suspect versus placebo (TPODA).

3. Quelques indications utiles, en particulier pour les désignations synonymes : http ://www.additifs-alimentaires.net/ (consulté le 1er octobre 2015).

4. La médecine basée sur les niveaux de preuve (EBM) est incapable de prouver l’efficacité du régime de Feingold.

5. Les mêmes errements sont survenus au cours des syndromes autistiques où des théories ont été avancées sans preuves (allergies alimentaires et surtout intolérance au gluten).


 


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