Allergie alimentaire sévère et anaphylaxie

L’anaphylaxie est une réaction d’hypersensibilité (allergique) systémique, généralisée, sévère pouvant engager le pronostic vital. Elle survient rapidement (quelques minutes à quelques heures) après l’exposition au facteur déclenchant.

Épidémiologie

L’anaphylaxie est heureusement une manifestation peu fréquente, mais grave, de l’allergie. Sa prévalence en Europe est estimée à 1/2 000 avec une incidence faible (< 1/10 000) (1), mais en augmentation régulière. Au cours des 20 dernières années le nombre d’hospitalisations d’enfants pour des réactions allergiques sévères a été multiplié par 7 au Royaume-Uni (2). La même étude retrouvait un taux de décès stable et faible à 0,05/100 000 habitants. En cas de décès chez l’enfant, l’allergène en cause est le plus fréquemment un aliment (66 %). La détresse respiratoire est souvent au premier plan et le risque de décès est plus important en cas d’antécédent d’asthme. La plupart des accidents ont lieu au domicile (46 %) et à l’extérieur (19 %) et un tiers des patients a déjà un antécédent de réaction anaphylactique. Chez l’enfant, les aliments incriminés en cas de réaction anaphylactique sévère sont généralement l’arachide, les fruits à coque, les oeufs et les protéines de lait de mammifères (3).

En France les données du CICBAA (Cercle d’investigations cliniques et biologiques en allergologie alimentaire) (4) montrent également une disparité importante des fréquences relatives selon l’âge de l’enfant. Le lait et l’oeuf sont les deux principaux allergènes chez le nourrisson de moins de 1 an, alors qu’après 3 ans, l’arachide est le premier allergène et les allergies au lait et à l’oeuf sont beaucoup moins fréquentes. Les légumineuses et les fruits à coque sont bien représentés. Enfin, les fruits à coque et l’arachide sont les premiers pourvoyeurs des anaphylaxies sévères dans toutes les enquêtes.

Clinique

La définition clinique de l’anaphylaxie est donnée dans le tableau de Sampson (5) (Tab. 1).

En pratique, une anaphylaxie est probable quand l’une de ces 3 situations cliniques apparaît brutalement en quelques minutes à quelques heures.

Les manifestations cutanéomuqueuses isolées ne constituent pas une anaphylaxie, mais peuvent en être les prémices.

Facteurs de risque du choc anaphylactique alimentaire

Les facteurs de risque d’anaphylaxie sévère et/ou mortelle identifiés sont l’allergie à l’arachide et les fruits à coque, le fait d’être un adolescent et la présence de certains cofacteurs (notamment l’asthme, l’exercice, l’alcool, les traitements par ß-bloquants utilisés dans l’hypertension artérielle ou de nombreuses pathologies cardiovasculaires), la mastocytose (accumulation de nombreux mastocytes, ces cellules appartenant au tissu conjonctif et qui sécrètent de l’histamine, une molécule de signalisation du système immunitaire), le retard ou la non-administration d’adrénaline.

Étiquetage des produits

Les règles d’étiquetage ne concernent que les ingrédients introduits volontairement par le fabricant dans la recette du produit. Les industriels de l’agroalimentaire doivent évaluer les risques de contamination et tout mettre en oeuvre pour les réduire. Un étiquetage du type peut contenir des traces de… ou susceptible de contenir des… ne constitue qu’un dernier recours dans le cas où il n’est pas possible de maîtriser le risque de contamination fortuite (Tab. 2).

Les règlements (6) concernant l’information des consommateurs sur les substances ou produits provoquant des allergies ou intolérances parmi les denrées alimentaires prévoient que, pour les produits préemballés, la présence d’allergènes doit figurer sur la liste des ingrédients et être mise en exergue.

Ce texte a été complété par un décret pour les produits non emballés (7) : toute denrée alimentaire, présentée non préemballée sur les lieux de vente au consommateur final, et, le cas échéant, les autres mentions obligatoires qui doivent l’accompagner sont indiquées sur la denrée elle-même, ou à proximité de celleci, de façon à ce qu’il n’existe aucune incertitude quant à la denrée à laquelle elles se rapportent.

Les allergènes émergents

Chez les enfants, d’autres allergènes, moins classiques que les arachides ou les fruits à coque commencent à émerger probablement du fait de plus de diversité dans notre alimentation. Dans ce cadre, ilfaut faire particulièrement attention aux produits pour lesquels l’étiquetage n’est pas obligatoire.

  • Le sarrasin, que l’on peut retrouver dans les galettes bretonnes, est parfois utilisé dans les sandwichs, barres de céréales, nouilles asiatiques.
  • Le soja est très utilisé dans l’industrie agroalimentaire en raison de son coût moindre en particulier dans des farines, des steaks de soja, des boulettes de viande, etc. La consommation du soja est aussi croissante dans les produits bio dont beaucoup en contiennent. Du fait d’allergie croisée possible, il faut particulièrement faire attention chez les personnes allergiques aux arachides ou au bouleau.
  • Les hydrolysats de blé (ou gluten déamidé) représentent de nouveaux allergènes alimentaires issusde procédés de fabrication utilisés dans l’industrie agroalimentaire. Utilisés pour leurs propriétés liantes et émulsifiantes, ils sont principalement présents dans les viandes reconstituées, charcuteries industrielles, soupes et sauces. Sur les 1 135 cas d’anaphylaxie alimentaire sévère recensés depuis 2002 par le RAV (Réseau Allergo Vigilance) (8) l’allergie aux hydrolysats de blé est responsable de 1,15 % des accidents. Il s’agit donc d’une allergie rare, mais le patient allergique est pénalisé, car il n’a aucun moyen de savoir si le produit fini contient de la farine de blé naturelle, à laquelle il n’est pas allergique, ou au contraire un hydrolysat de blé (9). Ces hydrolysats de blé, également incorporés dans des produits cosmétiques (mascaras, crèmes de soin, shampooings…), peuvent être responsables d’allergie cutanée. Certains allergologues estiment que des patients sont devenus allergiques aux hydrolysats de blé après avoir appliqué régulièrement des cosmétiques qui en contenaient.
  • Le fenugrec, épice de la famille des légumineuses pouvant croiser avec une allergie à l’arachide, est souvent masqué et difficile à identifier dans les nombreux produits où il peut être présent (curry, mélange d’épices…) (10).

Figure 1 – Les allergènes émergents ( de gauche à droite) avec le sarrasin, le soja et le fenugrec.

Traitement

Le premier traitement est l’éviction totale de l’agent déclenchant. La consultation d’allergologie avec enquête allergologique doit être prescrite après toute réaction d’hypersensibilité si possible dans les semaines qui suivent l’accident (délai idéal : 4 à 6 semaines) avec arrêt des traitements antihistaminiques quelques jours avant.

Une trousse d’urgence (avec stylos d’adrénaline, éventuellement des médicaments glucocorticoïdes, antihistaminiques, ß2-mimétiques) est prescrite. Son maniement doit être expliqué avec précision à chaque consultation.

Chez l’enfant, la mise en place d’un projet d’accueil individualisé (PAI) est nécessaire.

Quel est le traitement d’urgence lors d’un choc anaphylactique ?

L’adrénaline en injection intramusculaire faite le plus précocement possible est LE traitement de la réaction anaphylactique (11). Elle est indiquée en cas de réaction avec atteinte respiratoire et/ ou cardiovasculaire et dans certains cas de réaction de type de symptômes digestifs, en fonction de leur importance et de leur évolutivité.

Quid de l’utilisation du stylo auto-injecteur d’adrénaline une fois qu’il est prescrit ?

Comme dit précédemment, les antécédents de réaction anaphylactique font partie des facteurs de risque de récidive, or selon un sondage Ifop (12) réalisé pour l’Association française de prévention des allergies (Afpral) et le laboratoire Meda portant sur le risque d’anaphylaxie réalisé durant l’été 2016, seules 19 % des personnes ayant déjà été victimes (ou un proche) d’une réaction anaphylactique en connaissent l’unique traitement : l’adrénaline. La nette sous-utilisation de l’adrénaline avait déjà été soulignée dans différentes études antérieures.

En dehors de l’hôpital, l’administration immédiate d’adrénaline intramusculaire est le traitement recommandé. En effet, le laps de temps entre les premiers symptômes et l’arrêt respiratoire ou cardiaque est très court : environ 30 minutes lors d’une anaphylaxie induite par l’alimentation. L’adrénaline est le médicament d’urgence du choc anaphylactique, car il est un -adrénergique vasoconstricteur, mais aussi un ß1-adrénergique inotrope et chronotrope positif et ß2 adrénergique bronchodilatateur. Le retard à l’administration de l’adrénaline lors d’un choc anaphylactiqueest clairement un facteur de risque de décès.

L’utilisation d’un stylo auto-injecteur d’adrénaline n’est pas un acte médical, et peut être faite par tous, le site d’injection recommandé étant la face latéro-externe de la cuisse. Le type de stylo à prescrire dépend du poids de l’enfant, mais il n’y pas de stylo auto-injecteur adapté aux enfants de moins de 15 kg. Cependant, l’Académie européenne d’allergie et d’immunologie clinique (EEACI) recommande l’utilisation du dosage 150 microgrammes à partir de 7,5 kg. Il existe un deuxième dosage 300 microgrammes au-delà de 25 kg. À partir de 50 kg, la dose maximale unitaire est de 0,5 microgramme. Quel que soit le dosage, l’injection est renouvelable en cas de nécessité.

Les allergiques à risque sontils bien formés ?

Le rôle clé de l’éducation thérapeutique Une étude de 2014 menée aux États- Unis auprès de patients avec des antécédents d’anaphylaxie a montré que la majorité des patients a déjà eu au moins 2 épisodes et 20 % despatients plus de 5 épisodes (13). La plupart de ces patients n’avaient pas de prescription d’adrénaline…

Le même constat a été fait en France : toujours selon l’enquête Ifop plus de huit patients sur dix ne se sont jamais vu prescrire de stylo d’adrénaline après un choc et seuls 15 % l’ont sur eux en permanence.

En pratique

En pratique, tout patient à risque de réaction anaphylactique (et a fortiori ceux ayant déjà un antécédent d’anaphylaxie) doit avoir une prescription d’adrénaline et avoir avec lui en permanence une trousse d’urgence contenant deux stylos autoinjecteurs d’adrénaline.

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts avec la rédaction de cet article


  1. Muraro A, Roberts G, Worm M et al. EAACI 2014. On behalf of the EEACI Food Allergy and Anaphylaxis guidelines Group. Anaphylaxis guidelines from the European Academy of Allergy and Clinical Immunology. Allergy 2014 ; 69 : 1026-45.
  2. Turner PJ, Gowland MH, Sharma V et al. Increase in anaphylaxis-related hospitalizations but not increase in fatalities: an analysis of united Kingdom national anaphylaxis data, 1992-2012. J Allergy Clin Immnol 2015 ; 135 : 956-63.
  3. Grabenhenrich LB, Dolle S, Moneret-Vautrin A. Anaphylaxis in children and adolescents: The European Anaphylaxis Registry. J Allergy Clin Immunol 2016 ; 137 : 1128-37.
  4. http://www.cicbaa.org/
  5. Sampson HA, Munoz-furlong A, Campbell RL et al. Second symposium on the definition and management of anaphylaxis: summary report. Second National Institute of allergy and infectious Disease/food Allergy and Anaphylaxis network Symposium. J Allergy Clin Immunol 2006 ; 117 : 391-7.
  6. Règlement (UE) n° 1169/2 011.
  7. Décret n° 2015-447 du 17 avril 2015.
  8. Reseau allergo vigilance : reseau@allergyvigilance.org
  9. Codreanu-Morel F. Les allergènes transformés : exemples des isolats de blé. Revue Française d’Allergologie 2012 ; 52 : 138-40.
  10. Dutau G. Le fenugrec : un allergène émergent ? Revue Française d’Allergologie 2013 ; 53 : 613-4.
  11. Simons FA, Ebisawa M, Sanchez-Borges M et al. WAO 2015. 2015 update of the evidence base: world allergy organization anaphylaxis guideline. World Allergy organ J 2015 ; 8 : 32.
  12. Enquête Nationale Ifop « Les Français et le choc anaphylactique » menée en France en Juillet et Août 2016. Enquête menée auprès d’un échantillon de 319 personnes à risque anaphylactique et de 392 proches de personnes à risque anaphylactique.
  13. 13. Wood RA, Camargo CA, Lieberman P et al. Anaphylaxis in America: the prevalence and characteristics of anaphylaxisin the United States. J Allergy Clin Immunol 2014 ; 133 : 461-7.

Publié

dans

par

Étiquettes :